© Diane Arbus

 
L’ART S’ENTÊTE
 

En tant qu’artistes ayant fait le choix d’organiser des représentations de façon autonome, nous tenons au fil de nos parcours de programmation à répondre, bien sûr, à nos convictions artistiques, mais aussi à agir et à investir la scène en fonction de nos intuitions politiques. C’est-à-dire d’utiliser le théâtre comme un espace qui s’engage à construire des évènements en direction du public avec des équipes partenaires, qui entament leur parcours de créations à partir d’écritures dont la visibilité est actuellement minoritaire. Soutenir des initiatives théâtrales de moins en moins présentes dans les réseaux de diffusion institutionnelles, oubliées par les grands médias culturels et de plus, depuis quelques années, systématiquement écartées des possibilités de financements publics décents, donc d’espace de travail.
Cultiver aujourd’hui au théâtre un esprit de résistance face aux politiques sécuritaires, c’est privilégier au-delà de l’ordre établi une radicalité d’engagement et de mise en risque, qui tendent vers la représentativité réelle des hommes et des mouvements de notre actualité. Pas dans les discours, mais au coeur des possibilités d’actions spontanées et manifestées du spectacle vivant.

Dans ce champ d’expression minoritaire où se manifeste les esquisses du théâtre de demain, le travail de la scène est souvent très dépouillé car sans moyen. Mais souvent dans la recherche active de formes et de points de vue risqués, puis de mise en action, et enfin de découverte d’écritures qui réaniment la force et la fonction du théâtre.
Cet angle de l’inconnu et du refoulé est pour tous, un endroit de refuge universel où l’homme écrit depuis toujours. Où l’homme ne compose pas une image folklorique de sa culture, mais trace les sources de l’hypothèse en construisant le jeu onirique de sa présence au monde. Cet endroit de mise en jeu de nos pulsions d’animaux sociaux, vers cette conscience intime inaltérable et fugitive de l’imaginaire, face aux mouvements dangereux du comportement collectif.

Nous partageons ces possibilités de reconnaissance à cet endroit du théâtre, où l’espace de l’écoute et du regard social est ainsi modifié. Là où le théâtre s’il reste imprévisible, pose un fil conducteur qui se joue de nos comportements et devance les décadences cachées par la société civile. La poésie pure, brute, violente, insaisissable, nous livre alors des clés de compréhension plus profondes. Lorsque les artistes s’engagent encore à questionner sans exotisme notre société culturellement mixte, et nous renvoient à l’instar du contexte politique, sur le mouvement de notre véritable transformation sociale et artistique.

L’illusion de sécuriser par la dictature des comportements sera toujours un piège pour l’homme. Une excroissance de la surveillance nous indique l’angoisse, la peur d’un homme au sein d’une culture qui change et fait de demain un déséquilibre permanent. Cette peur de liberté, simplifiée en fixation des phobies sécuritaires, tente les organisations politiques à figer la situation des mixités culturelles en images folkloriques déformant les comportements. Pourquoi accepterions-nous de figer le territoire culturel à l’incapacité de certains d’imaginer le monde autrement; qu’à travers le projet d’une France repliée sur elle-même, donnant l’image d’un pays instable occupé en permanence à colmater les multiples manifestations minoritaires.
Cette illusion mise en place à travers le tournage médiatique du cinéma social conditionne déjà nos actes et nos comportements. L’industrie du spectacle devient aussi le lieu des emprisonnements possibles. Comment ne pas se laisser ainsi influencer par cette forme de renoncement ? À quel endroit le travail sur nos langages contient-il notre façon d’être au monde ?

L’écriture théâtrale est à la fois un espace de mémoire et de rencontre au présent, espace de conflit des corps, de construction et de déconstruction permanente de la représentation identitaire. Le lieu du théâtre est partie prenante de cette traduction poétique de nos expériences qui agit sur le présent.

Les écritures contemporaines sous-tendent une expérience de conflit face à l’avenir, souvent une tension politique, un processus scénique inattendu et une intensité, qui font peur à beaucoup de programmateurs. On nous oriente aujourd’hui vers des formes de plus en plus immédiates afin d’occulter le coût et le temps réel de véritables expériences sur le plateau. La vérité de l’écriture dramatique est de moins en moins réfléchie par la pratique. Et les moyens de vie sont quasiment inexistants pour un auteur destiné à la scène. Il existe heureusement face à ce démontage des moyens, une mouvance liée au bénévolat des artistes et des structures culturelles, qui permettent aux écritures immergées d’apparaître progressivement.

Notre rôle à partir de l’écriture est toujours d’organiser une possible manifestation, en réduisant cet écart entre les discours et la mise en place d’actes réels. D’équilibrer les maigres conditions d’une recherche tout en conservant cette liberté d’initier qui n’a pas de prix. Nous ne revendiquons pas l’aventure du théâtre comme un séjour organisé. Le Colombier est, et veut rester un espace où, public et artistes se permettent de vivre plus authentiquement les possibilités de créer aujourd’hui. Ce mouvement demande à notre endroit une dématérialisation et une reconsidération des moyens. Pour répondre artistiquement à ses difficultés ; Il faut aller vite pour ne pas rater les étapes essentielles du trajet d’un artiste. Le moment où ce qu’il appelle à donner est prêt, et près de nous. Cette sensibilité au temps et aux êtres humains est, pour nous, ce qui favorise l’étincelle du public, qui doit lui aussi être considéré dans ce trajet de naissance. Une dynamique où acteurs et publics échappent à l’étiquetage, se questionnent et se retrouvent à travers la voie ouverte par les écritures d’aujourd’hui. Mobiliser de façon à chaque fois particulière, s’adapter et incarner les nécessités par le rassemblement.

Dans cet étalonnage des premières représentations d’un texte, nous voulons faire confiance au théâtre, à la modification naturelle des armes scéniques et à la nécessité des artistes, aujourd’hui, d’échanger leurs langages. Vers cette émulation naturelle de l’art, qui s’engage, composé et décomposé sensiblement.

Gilles Sampieri